"Le culte du diplôme existe peu en Allemagne" Manuel, consultant marketing à Düsseldorf
"Parcours franco-allemands" est une rubrique pour découvrir les visages et les impressions des Français, francophones, Allemands et germanophones qui ont choisi de poser leurs valises en France ou en Allemagne, temporairement ou pour toujours ! C'est aussi l'occasion de découvrir des villes et leurs régions sous un œil différent. Cette semaine, c'est avec Manuel, qu'Olivier s'est entretenu.
Qui es-tu en une phrase ?
Je m'appelle Manuel, je suis citoyen européen, franco-italien, marié à une Allemande, curieux par nature et passionné par le marketing.
2. Le parcours en tant que candidat en Allemagne
3. Le déroulement de la vie professionnelle en Allemagne
4. L'intégration en tant que Français en Allemagne
5. L'avenir : rester sur place ou retourner en France ?
Comment as-tu appris à parler allemand ?
L'Allemagne et la langue allemande n'étaient pas vraiment prévues au programme... J'étais plutôt prédestiné à vivre en Italie, le soleil et les bonnes pasta !
L'allemand, je l'ai appris plus sur le tas (notamment ces dix dernières années en travaillant dans une entreprise du Mittelstand) qu'à l´école, même si j'ai fait de l'allemand de la 4ème jusqu'au diplôme de Grande École...
Qu'est-ce qui t'a attiré en Allemagne ?
Ce qui m'a attiré en Allemagne, c'est avant tout ma femme ! Nous nous sommes rencontrés en France il y a 20 ans, mais à la fin de ses études d'orthophonie, elle m'a fait comprendre que son avenir professionnel serait bien en Allemagne. La décision de franchir le Rhin fut rapide. Il a juste fallu trouver un job là-bas...
Quels conseils donnerais-tu à un(e) Français(e) pour prendre la bonne décision avant de partir ?
Si possible tenter l'aventure allemande en démarrant avec un VIE (le mien, à l'époque dénommé CSNE, je l'ai fait à Milan...). Ne pas être apeuré par la langue. C'est certain, ce n'est pas simple, mais on peut bien démarrer en Allemagne avec un job en anglais.
Comment as-tu trouvé un stage / emploi en Allemagne ?
Comme mon niveau d'allemand n'était pas au top début 2000 quand j'ai cherché un job, j'ai cherché en priorité auprès d'entreprises internationales, des sièges européens basés en Allemagne notamment.
Une bonne anecdote d'ailleurs : j'ai mis des semaines à peaufiner mon dossier de candidature en allemand (CV, lettre de motivation) pour Kia Europe. On m'a contacté gentiment en me demandant une version anglaise car la plupart des Coréens (décideurs) sur place ne parlaient pas allemand ! Tout ça pour ça...
L'offre d'emploi était sur un site web spécialisé. Début 2000, le paysage web était différent...
Quels conseils donnerais-tu à un(e) candidat(e) cherchant un stage ou un emploi depuis la France ?
Le manque de talents entre la France et l'Allemagne est assez énorme, alors les opportunités ne manquent pas ! Surtout pour les candidats bons en langue.
Aller sur les sites spécialisés (Connexion-Emploi bien sûr !), investiguer auprès de son réseau d'anciens diplômés (alumni d'écoles de commerce ou d'ingénieurs) et maintenant bien sûr traîner sur les réseaux sociaux professionnels. Donc tout étudiant avec un projet entre ces deux pays, doit aujourd'hui avoir un profil sur LinkedIn et Xing ! Ce dernier a quand même 21 millions d'utilisateurs sur la région DACH (Allemagne, Autriche et Suisse) ! Soigner son profil sur ces réseaux est essentiel, la base.
As-tu remarqué des particularités pour réaliser un CV en allemand ?
Pour ma dernière actualisation de CV, mon coach m'a fait intégrer une intro type "Kurzprofil" en démarrage pour que le recruteur se fasse une idée en lisant 4 ou 5 lignes...
Après le descriptif de chaque expérience, résumer en deux, trois points ses succès, notamment en chiffres (progression business). Les Allemands aiment les faits, des preuves...
Comme je l'ai expliqué auparavant, mon entrée sur le marché du travail allemand s'est fait avec un CV en anglais. Cela marche même s'il vaut mieux être équipé avec le dossier en allemand.
As-tu remarqué des différences dans le processus de recrutement ?
Sur le processus en lui-même, je n'ai pas remarqué trop de différences. Avec mon dernier employeur (un bel acteur du Mittelstand), seulement deux entretiens.
L'anecdote étant que je me suis présenté pour un poste et qu'au bout de 10 minutes, on m'a présenté un autre poste, celui de chef de service, un cran au-dessus ! Pas de test, mais tout en allemand, je n'ai même pas le souvenir d'une phrase en anglais alors que le poste avait une dimension internationale, mais mon parcours laissait supposer que ce point était validé.
As-tu remarqué des particularités dans le contrat de travail en Allemagne ?
En même temps que la signature du contrat de travail, on m'a demandé de fournir un extrait de casier judiciaire, ça se pratique parfois. Après, il convient de faire relire son contrat par un spécialiste, notamment pour les cadres, pour être au point sur les points touchant au temps de travail hebdomadaire et la manière dont les heures supplémentaires sont appréhendées...
Attention aux contrats "AT-Mitarbeiter" (Außertariflicher Arbeitsvertrag, donc cadre hors convention collective) ! Cela peut être défavorable pour les jeunes cadres qui pourraient ne pas avoir d'augmentations régulières si le contexte économique est difficile, par rapport aux autres collègues bien soutenus par les syndicats type IG Metall ! C'est du vécu...
Les salaires sur le marché allemand sont assez intéressants. En partant de Paris à 28 ans, mon salaire a juste augmenté de 50 % ! En plus en ce moment, c'est la guerre des talents, donc il y a moyen de bien négocier salaire et conditions particulières. Qui ne tente rien n'a rien !
Pour avoir des idées des grilles de salaires, il y a moyen de trouver des informations, soit en consultant des enquêtes des médias économiques, actualisées régulièrement, ou bien, pour les salariés attachés à une convention collective (non cadre), les "tarifs" avec des groupes de salaire très précis (Entgeltgruppen). Il faut savoir aussi que les salaires diffèrent pas mal entre l'Est et l'Ouest ! Finalement, tout cela n'est pas un sujet simple.
Dans quels secteurs possèdes-tu de l'expérience ?
J'ai travaillé 15 ans dans l'automobile, puis presque 10 ans dans les arts de la table. Toujours sur des postes liés au marketing (produit, communication, digital et stratégie).
Ma dernière expérience en entreprise était très intéressante (chez Zwilling, coutellier reconnu depuis près de 300 ans). Je voulais absolument avoir une expérience en Allemagne dans une entreprise traditionnelle du Mittelstand. "Volltreffer", comme on dit ici ! J'ai visé juste et je n'ai pas été déçu par le dépaysement... Jusqu'à la mi-2021, j'étais directeur marketing international pour la marque Staub, les belles cocottes en fonte.
Quel est ton métier actuel et quelles sont les compétences clefs pour exercer ton métier en Allemagne ?
Depuis un an, je me suis mis à mon compte en tant que consultant marketing indépendant. C'est le genre de métier que l'on fait quand on a déjà de l'expérience et que l'on peut transmettre du savoir aux autres pour leur faire gagner du temps.
Je travaille maintenant entre la France et l'Allemagne, en aidant des entreprises à mieux performer dans son pays cible. Nous travaillons ensemble toutes les dimensions d'une stratégie marketing : les cibles consommateurs (en faisant intervenir des instituts de sondages locaux), l'offre produit, les parcours clients, les plans d'actions à mettre en place (qui peuvent aller de la mise en place d'un "Brand Shop" sur Amazon ou l'animation de réseaux sociaux ici en local) et le suivi.
Est-il nécessaire de posséder une formation particulière en Allemagne ou est-ce que tes diplômes français ont suffi ?
Pour décrocher de bons jobs en marketing, un diplôme d'école de commerce fait l'affaire bien sûr. Cela correspond à un parcours BWL (Betriebswirtschaft) en Allemagne.
Attention, le culte du diplôme existe peu en Allemagne à part pour quelques écoles d'ingénieurs... Il faut donc prouver la valeur de ses expériences sur la base de ses résultats concrets et non juste en montrant un beau diplôme. C'est beaucoup plus démocratique et égalitaire en fait.
Peux-tu nous décrire une journée type au travail ?
Dans mon ancien job salarié, la journée type commençait tôt. Les Allemands commencent tôt le matin. Pour ma part, le démarrage était entre 7h00 et 8h30, histoire d'être au calme avant les enchaînements de réunion jusqu'à 17h00. Les Allemands, sensibles à la "worklife balance", tentent de ne pas caser des réunions trop tard.
Maintenant, en tant qu'indépendant, c'est une vie complétement différente ! Je travaille à la maison, tout comme dans mon espace de coworking à côté de chez moi (à Düsseldorf).
90 % de mon activité se fait en visio. Pas de journée type, car on est dans l'agilité totale.
Qu'est-ce qui est passionnant dans ton job et quels sont les défis que tu rencontres ?
Le fait d'avoir un oeil indépendant sur le business d'une entreprise permet de donner son avis, de faire des critiques positives comme négatives et ceci sans avoir peur de la réaction d'un supérieur colérique... Dans ce métier, je joue entre les questions de spécialiste et de généraliste. J'ai souvent un rôle de coordinateur entre différents métiers, afin de proposer au final un service complet à mes clients.
Les défis ? Être constamment curieux, s'interroger tout le temps pour au final trouver ce qui pourrait rendre mon prospect intéressé par mon accompagnement.
As-tu évolué par rapport à ton métier d'origine ?
Lors de mon dernier emploi salarié (j'avais été embauché dans un groupe allemand en tant que Français pour gérer la croissance d'une marque française avec une usine en France), j'avais un périmètre assez délimité, et je ne pouvais pas vraiment évoluer dans l'entreprise.
Mon idée, par curiosité et par conviction également, a été de m'engager dans le Betriebsrat de l'entreprise (version allemande des IRP, les instances représentatives du personnel). Je me suis dit, que faire partie de cet organe, m'apprendrait beaucoup de choses sur le fonctionnement de l'entreprise en Allemagne.
En effet, ce modèle de co-gestion (entre direction et Betriebsrat) est une spécificité très germanique. Ce fut une expérience très enrichissante ! J'ai réalisé, pour en avoir discuté autour de moi, que peu de Français ont eu ce genre de rôle et encore moins avec un niveau de Abteilungsleiter (chef de département) et un rôle managérial. Pendant deux ans et demi, j'ai eu plus de formations liées au Betriebsrat, qu'à mon job marketing. Il y avait magiquement pour les premières moins d'opposition de la part de la DRH !
L'accent français aide-t-il à briser la glace ?
Alors là, on touche au coeur du sujet pour les Français en Allemagne : on garde son accent et on entretient le phénomène ! Je ne compte pas le nombre de fois où l'accent amène automatiquement de la sympathie. C'est aussi un très bon sujet pour démarrer le small talk !
Quels conseils donnerais-tu aux candidat(e)s qui nous lisent pour réussir dans leur prise de poste et leur job en Allemagne ?
Si on doit intégrer une équipe allemande (par rapport à une équipe internationale), montrer que l'on fait des efforts ! Pour apprendre la langue, pour échanger, rester humble, apprendre tous les jours. Estomper les côtés français qui dérangent : le retard à une réunion, trouver des solutions rapides hors process et parfois une certaine arrogance.
Possèdes-tu un parcours entrepreneurial en Allemagne ?
Comme je le disais, j'ai démarré en indépendant il y a bientôt un an. Je n'ai pas créé de société, les consultants ont un statut proche de la profession libérale. L'état allemand est plutôt sympa car il accorde une aide à la création d'entreprise de 6 mois (équivalente à une indemnité chômage) pour faciliter le démarrage.
Certains conseillers de la Bundesagentur für Arbeit sont spécialisés pour l'accompagnement des cadres. Ma conseillère était top ! On s'est rencontrés une fois malgré la période Covid, pas évidente à gérer. Toutefois, le côté administratif, avec ses tonnes de formulaires, demande un suivi important avec des relances téléphoniques régulières. L'Allemagne est très performante en lourdeur administrative !
Complète cette phrase : le plus dur en Allemagne c'est ...
... passer son permis de pêche ! Des cours du soir obligatoires, apprendre en détail la vie des poissons et passer un examen mêlant théorie et pratique ! Plus dur que le permis de conduire.
Complète cette phrase : le plus génial en Allemagne c'est ...
... la qualité de vie. À ce jour, pas vraiment envie de rentrer vivre en France.
Ton expression allemande préférée ?
Vertrauen ist gut, Kontrolle ist besser (La confiance, c'est bien. Le contrôle, c'est mieux). Cela montre bien que la confiance en Allemagne, ca se construit sur le long-terme !
Qu'est-ce qui te plaît le plus dans ta vie ici ?
Le respect entre citoyens, c'est encore une valeur qui tient le coup. On ne va pas rayer à coup de clé la Porsche du voisin par jalousie ou on ne va pas taper le pare-choc d'une voiture en stationnement en se garant "à la parisienne"... Cela ne se fait pas, un point c'est tout.
Ce qui t'étonnera toujours ou qui te surprend le plus ?
La folie des asperges dès la mi-avril.
L'importance de la langue pour vivre en Allemagne : la maîtrise de la langue allemande est-elle importante pour s'intégrer ? Quels conseils donnerais-tu pour apprendre l'allemand ou rafraîchir la langue ?
Oui, incontestablement, parler la langue (avec l'indispensable accent français), c'est un accélérateur d'intégration. Apprendre rapidement l'allemand ? Un classique, mais les cours de langue sur l'oreiller, comme on dit, c'est efficace.
Quelles sont les particularités en Allemagne ? En particulier dans la ville où tu vis ?
En 2022, je n'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup de particularités à part les nombreuses pistes cyclables qui permettent de faire beaucoup de trajets en vélo en sécurité... En revanche, quand je suis arrivé en 2002, là beaucoup de choses m'avait choqué comme le fait de ne pouvoir payer qu'en cash chez ALDI ! Et que ce type de magasins fermait le samedi à 13h00. Mais heureusement, les choses ont bien évolué depuis...
J'oubliais, j'habite Düsseldorf et bien sûr le carnaval, c'est à vivre une fois dans sa vie. Comme la fête de la bière à Munich !
Quelle est ta plus belle expérience en Allemagne ?
Il y en a trop ! La plus marquante peut-être : mon premier réveillon de la Saint-Sylvestre en Allemagne... des feux d'artifices à tous les coins de rue pendant une heure ou deux. Une allure de guerre civile !
Quels conseils donnerais-tu à un(e) nouvel(le) arrivant(e) français(e) souhaitant vivre en Allemagne pour s'intégrer au mieux dans la ville dans laquelle tu résides ?
Düsseldorf est une ville très internationale (nous avons, par exemple, la plus grosse communauté de Japonais en Europe), donc c'est plutôt simple de faire des rencontres, les gens sont assez ouverts. Tout dépend si l'on est jeune et célibataire ou en famille avec des enfants... mais la ville organise tellement d'événements que les occasions ne manquent pas.
Es-tu resté malgré tout "français" dans l'âme ?
Ah oui ! Et surtout j'éduque mes enfants de manière à ce qu'ils assimilent cette culture. On mange de bons fromages à la maison avec de la baguette !
Rencontres-tu un peu de nostalgie du pays et comment fais-tu pour la compenser ?
Pour les nouvelles, il suffit d'aller sur internet. Pour les fromages, il faut avoir ses bonnes adresses, et si vraiment on doit mettre les pieds en France, ce n'est pas si loin non plus. À environ 300 kilomètres on a Valenciennes / Lille ou bien les Ardennes...