Travailler dans le secteur culturel en Allemagne : boom ou précarité ?

Depuis le 19e siècle, l'Allemagne était surnommée pays des poètes et des penseurs. Or aujourd'hui, on observe des tendances ambiguës : du point de vue statistique, le secteur culturel bénéficie d'une infrastructure particulièrement développée et affiche une évolution très positive. D'autres études notent une précarité non négligeable chez les artistes indépendants (freelances). Quelles sont les conditions de travail des secteurs culture, art et médias en Allemagne ? Sont-elles meilleures qu'en France ?

Que ce soit à la télévision ou la radio, publique et privée, dans les médias imprimés, ou dans les arts visuels et performatifs, l'Allemagne présente l'un des paysages culturels les plus riches d'Europe. On compte notamment :

• 22 écoles supérieures d'art publiques
• 7200 musées et salles d'exposition
• 140 théâtres municipaux et régionaux, 200 théâtres privés
• 130 orchestres professionnels (soit un quart du total mondial)
• 17 chaînes de télévision et de radio publiques

Viennent s'ajouter à cela des manifestations artistiques et culturelles mondialement reconnues dans toute l'Allemagne comme le festival international de cinéma Berlinale, la Foire internationale du Livre de Francfort, le Festival de Bayreuth ou le festival de musique Rock am Ring. Les pôles créatifs notables tels que Berlin-Brandebourg, Francfort-sur-le-Main, Hambourg et d'autres, constituent des hubs attractifs pour les artistes en quête d'inspiration et d'opportunités de collaboration.

L'Allemagne occupe également la 5e place mondiale en tant que marché de journaux, après la Chine, l'Inde, le Japon et les États-Unis, et demeure le plus grand marché de journaux en Europe. La scène médiatique allemande comprend actuellement :

• environ 320 journaux quotidiens, principalement distribués au niveau régional
• 16 journaux hebdomadaires
• 1 300 magazines grand public

La numérisation influence considérablement le paysage médiatique allemand, avec environ 260 titres distribués quotidiennement sous forme d'E-Paper (en 2021), totalisant une diffusion numérique de 2,2 millions d'exemplaires.

Enfin, c'est notamment le potentiel et l'activité du jeu vidéo qui croît exponentiellement depuis plusieurs années. Son avantage, du point de vue du marché de l'emploi, consiste non seulement dans les profits importants notés par les entreprises, mais aussi par la diversité des types de spécialisation nécessaires pour la conception de ces oeuvres multimédia : réalisation, montage, conception, animation, musique, textes, jeu d'acteur etc.

La région Berlin-Brandebourg vient en tête de ce mouvement. Aucun autre site n'a une infrastructure aussi dense en matière de jeux vidéo, écoles supérieures comprises. Mais Francfort-­sur-le-Main, Hambourg, Leipzig, Cologne et Munich ont également des grappes créatives importantes.

Les activités culturelles et créatives comptent ainsi parmi les secteurs économiques les plus innovants en Allemagne. Leur contribution à la création de valeur brute augmente en permanence. En 2018, leur pourcentage dans le produit intérieur brut était de 3 % et, ainsi, supérieur à celui de grands secteurs comme l'industrie chimique, la production d’énergie ou les services financiers.

Le chiffre d'affaires du secteur créatif, dans lequel travaillent quelque 256.000 entreprises et 1,2 million de personnes, se situait à environ 168 milliards d'euros.

Ce secteur est composé de plus de 250.000 professionnels indépendants ainsi que de petites ou de micro-entreprises. Avec 21,5 %, le taux de professionnels indépendants est exceptionnellement élevé.

Malgré les infrastructures citées, proportionnellement parlant, les auteurs, comédiens, musiciens et autres artistes qui travaillent à temps plein sous contrat dans le secteur public (musées, théâtres, orchestres) ou privé (associations de promotion des arts, fondations) sont très peu nombreux. D'après une étude de 2019, seuls 10 % des artistes professionnels parviennent à vivre exclusivement de leur activité artistique.

Il faut dire que les acteurs, artistes, musiciens, auteurs et professionnels des médias ne sont plus les seuls à composer la grande famille des créatifs. Les développeurs web, les professionnels de la pub et les graphistes font également partie des précaires bohèmes qui conçoivent leurs nouveaux projets sur leur ordinateur portable, assis à la table d'un café hype du centre ville, un mode de travail à l'apparence détendue qui peut dissimuler des difficultés réelles à arrondir ses fins de mois.

En Allemagne, la précarité des contrats et la forte dépendance à des projets temporaires peuvent être exacerbées par la complexité du système social, où les artistes indépendants doivent souvent assumer seuls des coûts élevés liés à la sécurité sociale. Comparativement à la France, le modèle de protection sociale allemand peut sembler moins favorable aux artistes indépendants, entraînant une pression financière accrue.

Vient s'ajouter à cela le revers de la médaille présenté plus haut, à savoir la forte activité du secteur en Allemagne. La compétition au sein du marché artistique peut être intense. Les artistes doivent naviguer dans un environnement où les clients sont face à une panoplie d'options différentes. Sans garantie de clientèle stable, la nécessité pour les artistes de diversifier leurs sources de revenus devient donc souvent cruciale.

Malgré ces conditions financières difficiles, les vocations ne se raréfient pas pour autant de l'autre côté du Rhin...

"La belle vie, c'est aussi de ne pas devoir se rendre au travail chaque jour. Ce qui ne signifie pas que l'on ne travaille pas. On travaille parfois même plus que les autres et on ne part pas en vacances. Cela fonctionne un peu ainsi : davantage de temps libre, de sorties, de travail autonome, des plages horaires que l'on détermine soi-même, la recherche de personnes partageant les mêmes centres d'intérêt."

C'est de cette manière que Christiane Rösinger, chanteuse et journaliste allemande, décrit son existence de freelance.

Face aux défis économiques exacerbés par la pandémie de COVID-19, de nombreux artistes ont développé des solutions créatives pour surmonter les difficultés financières. Certains ont exploité les opportunités offertes par la digitalisation, en organisant des performances en ligne, des expositions virtuelles ou en proposant des cours en ligne.

Des initiatives de financement participatif et de mécénat ont également émergé, permettant aux artistes de mobiliser le soutien direct de leur communauté. La solidarité au sein de la communauté artistique semble s'être renforcée, avec des collaborations inédites et des projets collectifs visant à soutenir mutuellement les artistes affectés. Ces initiatives reflètent la résilience et la créativité dont font preuve les artistes allemands dans l'adaptation à un environnement en constante évolution.

De nombreuses aides ont été mises en place en Allemagne pour soutenir les artistes, tout particulièrement ceux qui sortent de l'académie et cherchent à prendre pied dans le monde professionnel.

Si vous considérez de poursuivre votre activité en Allemagne, renseignez-vous notamment sur votre éligibilité aux aides suivantes :

Neustart Kultur : lancé en 2020, ce programme de relance culturelle a débloqué des fonds substantiels pour soutenir les acteurs culturels, y compris les artistes. Ces fonds ont été utilisés pour compenser les pertes de revenus, financer des projets créatifs et assurer la continuité des activités culturelles.

Fonds de secours des Etats fédéraux : certains Länder ont créé des fonds de secours spécifiques pour les artistes et les travailleurs culturels touchés par la crise. Ces fonds visent à fournir une aide financière directe pour couvrir les frais de subsistance. Ces initiatives peuvent inclure des subventions, des prêts à taux réduit et d'autres formes d'assistance financière.

Künstlersozialkasse : la KSK est une assurance sociale pour les artistes et les créateurs. Elle permet aux artistes de cotiser à une assurance maladie, retraite et autres prestations sociales à des taux réduits, en fonction de leurs revenus.

Kurzarbeit : le régime de chômage partiel en Allemagne a été élargi pour inclure les travailleurs culturels. Cela a permis aux employeurs de réduire les heures de travail tout en maintenant une certaine rémunération, soutenant ainsi les travailleurs dans le secteur culturel.

Durant la crise du Covid, le gouvernement allemand a également déployé divers programmes de secours financier, tels que des subventions directes, des allocations de chômage partiel et des prêts à taux préférentiels, afin d'atténuer l'impact économique sur les artistes et les acteurs culturels. Des fonds spécifiques ont également été alloués pour compenser les pertes de revenus liées à l'annulation d'événements culturels.

En France comme en Allemagne, la réalité du quotidien des artistes a beaucoup évolué avec les outils technologiques et leur accessibilité, notamment l'avènement de l'intelligence artificielle.

Grâce à internet et ses réseaux, la visibilité s'est démocratisée, mais cet accès au marketing implique un nouvel investissement du côté des artistes et peut cacher de nouvelles difficultés.

Jadis, un nombre beaucoup moins important de talents était mis en avant et investi par les grands distributeurs de médias. Les plus petits éditeurs et leurs artistes demeuraient souvent inconnus par le grand public.

Aujourd'hui, les artistes disposent d'une plateforme sans précédent pour se faire connaître et partager leur travail directement avec le public. Mais la saturation de contenus en ligne peut rendre difficile la découverte et la reconnaissance des artistes émergents.

La compétition accrue pour l'attention du public nécessite des stratégies marketing sophistiquées et une compréhension des tendances numériques. De plus, la pression pour maintenir une présence constante en ligne peut parfois devenir accablante pour les artistes, les obligeant à jongler entre leur créativité artistique et les exigences de l'auto-promotion. Or, beaucoup voudraient simplement se concentrer sur leur art.

En effet, pour une majorité, tout l'intérêt de ce choix de carrière est bien de privilégier le sens plutôt que le salaire, une tendance qui se répand de plus en plus, même au-delà du secteur créatif.

Alors, si chercher un sens à son travail devient la norme, peut-être qu'à l'inverse, arrêterons-nous de demander des sacrifices aussi importants aux artistes ?

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